6-Quelques zéros peuvent-ils changer le cours de l’Histoire ?

Lorsque j’ai été informé, au début du mois de mars 1993, que le renommé Juge du bureau des enquêtes préliminaires de Milan, Italo GHITTI, avait ordonné de procéder à mon arrestation et de me conduire, menotté, à la prison de San Vittore, je me trouvais en France (voir mon article « La mort » sur ce blog). Je raconterai par la suite comment j’ai été informé du mandat d’arrêt de la magistrature de Milan et comment je suis revenu.

« Burzio » garde-chiourme de FIAT

Le mandat d’arrêt me concernant avait été lancé suite aux déclarations d’un sous-fifre de Fiat, un certain Papi. Il avait raconté que je lui avais extorqué 300 millions et qu’il avait été obligé de me payer parce que je l’avais menacé de ne plus faire travailler la société Fiat (sic). Ses accusations étaient tellement précises et détaillées que dans le procès-verbal de l’interrogatoire je m’appelle « Burzio »… En ce qui concerne le financement en question, les choses ne s’étaient pas passées ainsi mais il n’y a pas lieu d’en parler pour l’heure.

L’avocat

Avant de revenir de France, j’ai rencontré à Sallanches (Haute-Savoie) Pier Maria Corso, un avocat qui avait trouvé pour moi en Italie une collaboratrice (personne dont je devrai parler longuement dans un autre article).

Pendant quelques heures, j’ai expliqué mon histoire et tous les faits dont j’avais été témoin à l’éminent juriste, des faits qui selon moi pouvaient avoir une importance dans le cadre des « mains propres » ; je voulais en fait moi aussi faire le ménage, mais un grand ménage ! Il m’a alors dit qu’il allait parler avec Di Pietro et qu’il me tiendrait au courant, mais qu’il s’agissait de donner quelques noms (on s’était aussi mis d’accord sur lesquels) ; en échange, j’obtiendrais immédiatement une assignation à résidence, puis la liberté et tout s’achèverait par une régularisation.

Corso m’a recontacté et m’a dit que les magistrats avaient déjà connaissance de certains faits que je lui avais racontés, mais que je ferais bien d’en parler pour soutenir ma version. Il m’a dit en outre comment je devais faire pour rentrer et quand. Comme prévu, l’assignation à résidence est arrivée ainsi que la liberté mais pas l’acte de régularisation. De tout ce dont j’avais parlé à Corso, la partie la plus consistante et intéressante concernait les rapports du parti avec Berlusconi. C’était par lui, par l’intermédiaire de Gianni Letta, qu’arrivaient les contributions financières les plus importantes au Parti. N’oublions pas qu’en 1991/1992, Berlusconi était un entrepreneur comme tant d’autres et Letta un journaliste. Le PSDI doit sa survie, au moins jusqu’aux élections de 1992, remportées par la coalition, à Berlusconi et pour cela je le remercie également au nom de tous les socio-démocrates. Ses financements n’étaient pas différents de ceux que Saragat reçut de Valletta (voir : Valletta, di Piero Bairati, edizioni UTET, 1983, page 186). Corso me conseilla notamment (je n’ai pas toujours suivi ses conseils !) de parler à Di Pietro, dans un premier temps, d’une petite contribution de 200 millions de lires, survenue lors d’une période désormais couverte par l’amnistie, ensuite pour le reste, on verrait.

24 mars 1993, 10h15, Tribunal de Milan, premier interrogatoire : les personnes et les souvenirs de cette journée.

Italo Ghitti.

Il exécutait les ordres du Ministère public. Il s’est limité à me regarder pendant dix secondes comme si j’étais un ver, de haut depuis son imposant bureau, puis, pour m’intimider, il m’a dit qu’il avait cinq jours pour prendre une décision quant à ma liberté. Il ne m’a pas posé une seule question. Le fait est toutefois qu’il a fait arrêter quelqu’un dont l’accusateur ne connaissait même pas le nom ! A 22h00, je rentrais chez moi à Acqui Terme. Je ne l’ai jamais revu.

La femme du secrétariat de Di Pietro

Elle était habillée de noir et me semblait assez âgée. Alors qu’avec mon avocat on attendait le substitut, j’ai allumé une cigarette (les lois en la matière n’existaient pas encore). Elle m’a regardé avec une attitude hautaine et dédaigneuse et elle a dit : « On ne fume pas ici ! ». Un peu comme si avait voulu refuser la dernière volonté du condamné à mort. Là-dessus, Di Pietro est arrivé. Cette même femme lui a alors mis sous les yeux un registre en me regardant avec haine comme pour dire : « Regardez ce que ce bâtard dit de nous ! ». Di Pietro m’a ensuite expliqué qu’il s’agissait des enregistrements des conversations téléphoniques avec mon père, le Sénateur des graviers en d’autres termes (je préciserai par la suite ce que j’avais dit à mon père la veille, et pour « les graviers », voir dans ce blog « publié par « La Repubblica » – Molte spese, poca gloria). Je ne l’ai jamais revue.

Un policier

Il m’a tenu compagnie lorsque, après l’interrogatoire avec Di Pietro, on attendait la décision de Ghitti. Il m’a payé à manger au réfectoire d’une caserne dont j’ai oublié le nom. Il m’a dit que ce qui m’arrivait n’était pas juste, que nous n’étions pas des criminels et que si nous avions commis un délit, c’était pour défendre des idées. Je souhaite le remercier. Je ne l’ai jamais revu.

Di Pietro

Pendant l’interrogatoire, j’ai parlé de tout ce que j’avais convenu et également de ce que je n’avais pas convenu et du financement de Letta, mais je n’ai pas parlé de 200 millions mais de 70 millions pour voir sa réaction en disant qu’ensuite on pourrait parler de choses un peu plus intéressantes et consistantes.

J’ai revu Di Pietro à d’autres reprises. On a parlé un peu de tout, mais personne ne m’a plus rien demandé à propos de Berlusconi. Après soixante-dix jours, j’ai dit à mon avocat que j’en avais marre de l’assignation à domicile et que les magistrats devaient me laisser retourner en France, sinon je demanderais à être à nouveau entendu à Milan pour donner plus de précisions quant à mes déclarations. Comme par enchantement, mon passeport m’a alors été restitué et je suis parti. Au cours des mois qui suivirent, je suis retourné en Italie quelques fois seulement sur demande d’un nouvel avocat de Rome à qui Corso avait passé la balle sans même me le demander, Professeur Alfredo Gaito (un interrogatoire à Rome par le Juge d’instruction pour une affaire concernant le Ministre Bono Parrino, un interrogatoire à Rome au parquet pour une affaire concernant Andreotti, un interrogatoire toujours à Rome, au tribunal des Ministres pour une affaire concernant toujours Bono Parrino). J’ai ensuite recommencé à fréquenter l’Italie en 2003. Tout le reste s’est déroulé par le biais de commissions rogatoires internationales au Tribunal de Bonneville (Haute-Savoie) pas loin du Restaurant du risotto (voir dans ce blog l’article « La renaissance »).

La question : Pourquoi les choses importantes n’ont-elles pas été approfondies ?

J’ai été harcelé pendant des heures à Milan pour préciser et détailler des affaires secondaires qui concernaient Modugno (pour des financements de concerts sur les principales places d’Italie, des concerts fantastiques auxquels ont pu assister gratuitement tous les citoyens), Gavio (pour des financements ridicules compte tenu des dimensions du groupe), Ciarrapico et Andreotti (pour des faits ensuite jugés par le Juge d’instance !) et d’autres personnages insignifiants. Personne n’a jamais approfondi les choses sérieuses, les véritables problèmes. Au contraire, il semblait même que l’on ne souhaitait pas le faire. Par exemple, lorsque j’ai tenté de parler du secrétaire de Giovanni Agnelli, on a changé de discussion, même chose lorsque j’ai tenté de parler de mes rapports avec un Procureur de Rome ou quand j’ai parlé des financements que le parti avait donnés à un certain syndicat. Une fois en France, j’ai souvent repensé à l’étrange attitude des magistrats de Milan, j’en suis même arrivé à la conclusion qu’ils en savaient peut-être tellement qu’il était inutile d’approfondir mes témoignages. Ensuite, le 10 mai 1994, Berlusconi est devenu le 74e Président du Conseil italien.

Etrange qu’aujourd’hui, vingt ans après les faits, on n’approfondisse pas certains aspects de ces années.

On pourrait peut-être comparer mon patrimoine passé et actuel avec le patrimoine passé et actuel de Di Pietro. On pourrait aussi peut-être parler du montant de ma retraite et de celle de Di Pietro.

Il vaut peut-être mieux laisser tomber. Tout le monde s’en fout des élucubrations du sous-fifre de Saragat.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *